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Election présidentielle aux Comores : dans l’attente des résultats, les dénonciations de fraude s’accumulent

Le temps orageux qui s’annonce au-dessus des Comores n’est pas uniquement lié aux vents du cyclone Belal qui frappent l’océan Indien. L’archipel de près d’un million d’habitants élisait son président et les gouverneurs des trois îles, dimanche 14 janvier. Les résultats provisoires, censés être annoncés lundi soir, tardent à venir. Les électeurs attendent les premières estimations dans une atmosphère tendue, sur fond d’accusations de fraudes électorales.
Lundi, les résultats provisoires des élections des gouverneurs de Mohéli et d’Anjouan, jumelées avec la présidentielle, ont mis le feu aux poudres. Les candidats de l’Alliance de la mouvance présidentielle (AMP), le camp du président sortant, Azali Assoumani, ont été élus dès le premier tour, provoquant un tollé dans les deux îles.
A Mohéli, des barrages ont été érigés près de la ville de Fomboni. Et Anjouan, qui représente plus d’un tiers des électeurs et est réputée pour son opposition au chef de l’Etat, était lundi soir le théâtre de plusieurs rassemblements. Les gendarmes déployés dans le chef-lieu, Mutsamudu, ont éparpillé la foule à l’aide de gaz lacrymogènes, notamment aux abords du quartier général du parti Juwa (opposition).
La région de Nioumakélé, dans le sud de l’île, est proche du point d’ébullition. Lundi à l’aube, suite à plusieurs tentatives de fraudes dénoncées par l’opposition pendant le vote, des jeunes ont mis le feu à une gendarmerie, à une mairie et à une école de la ville de Mrémani. Les routes sont coupées pour éviter le déploiement des forces de l’ordre, d’après plusieurs sources sur place. « On craint des débordements après les résultats », déclare, sous couvert d’anonymat, un habitant de la ville voisine de Domoni, connue pour être le point de départ des nombreux kwassa kwassa (embarcations) en direction de Mayotte.
Depuis dimanche, l’archipel est sous tension. Avant même la fin du vote, les cinq candidats de l’opposition ont remis en cause le déroulement du scrutin dans une déclaration commune. « Il n’y a pas eu d’élection ce 14 janvier 2024, accusent-ils. L’armée a ramassé des urnes et les a emmenées dans les casernes de la gendarmerie nationale dans plusieurs localités, surtout sur l’île d’Anjouan. »
Bastion de l’opposition, Anjouan se trouve au cœur des controverses, notamment depuis l’interception d’un camion militaire transportant des urnes, dimanche midi, par le candidat du parti Orange, Mohamed Daoud alias « Kiki ». Dans plusieurs localités de l’île, « les gendarmes jouaient le rôle de la Commission électorale nationale indépendante [CENI] et donnaient des instructions aux membres des bureaux de vote », note un observateur étranger présent sur place, préférant taire son identité et celle de son organisation.
De même, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui disposait d’une mission d’observation, a pointé plusieurs manquements aux règles électorales. « Les forces de l’ordre étaient présentes dans les centres visités […] certains intervenaient dans le déroulement et le dépouillement du vote », affirme le rapport de l’OIF publié mardi. Le président Assoumani – dont le fils est le commandant du groupement de la gendarmerie de l’île de la Grande Comore – avait pourtant promis la neutralité des forces de l’ordre lors du scrutin.
L’Union africaine (UA), dont une soixantaine d’observateurs ont sillonné l’archipel dimanche, indique que les élections se sont déroulées dans un « climat pacifique » et « sont globalement satisfaisantes ». L’UA ne se prononce pas sur les blocages des accréditations de la société civile par la CENI. Plus d’une centaine d’observateurs ont été privés d’accréditation, sans explication de la part des autorités, qui ont aussi refusé l’accès aux bureaux de vote aux experts électoraux de l’Union européenne (UE).
Mardi, le traitement et la compilation des résultats se poursuivaient dans la capitale, Moroni. Le palais du Peuple, où se trouve le siège de la CENI, est cependant inaccessible aux médias internationaux et aux mandataires des partis d’opposition. « On m’a interdit de demander des explications sur le logiciel de traitement des résultats et sur le centre de compilation », se plaint Salim Issa Abdillah, le candidat du parti Juwa. D’après un membre du gouvernement, l’accès à la salle de compilation des résultats est même interdit à certains commissaires de la CENI.
La Convention pour le renouveau des Comores (CRC), le parti au pouvoir, a prévenu par l’intermédiaire du porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidie, que les débordements de l’opposition « ne seraient pas tolérés ». M. Msaidie a déjà annoncé que selon le décompte du parti présidentiel, Azali Assoumani serait réélu à 57 % des voix. Une élection dès le premier tour dont l’homme fort de Moroni a fait son objectif, s’évitant ainsi une alliance des candidats d’opposition au second tour.
Noé Hochet-Bodin(Moroni, envoyé spécial)
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